Le 21/06/2024
Écrit par Alexis Triquet et Léna Crouillebois
Avec la participation de Didier Lods pour les aspects relatifs au droit social
Réglementée dans l’Union Européenne et en France depuis plus de 20 ans (1), la signature électronique a récemment pris une place particulière au sein des entreprises. Dans un monde de plus en plus connecté, où la nécessité d’accroître l’efficacité et la rapidité sont essentiels au bon fonctionnement des entreprises, elle s’impose comme une innovation incontournable.
Selon une enquête de janvier 2021(2) menée par YouGouv pour Universign, en France, 26 % des entreprises ont adoptés une solution de signature électronique depuis le début de la crise sanitaire.
Pour autant, une utilisation sécurisée et efficace de cette technologie requière d'éviter des erreurs courantes et d'en connaître les bonnes pratiques.
Avant d’explorer les principaux risques liés à l’utilisation de la signature électronique, il est essentiel de distinguer signature électronique et signature manuscrite scannée :
- La signature électronique: apposition d’une signature digitalement par l’intermédiaire d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache (3),
- La signature manuscrite scannée: signature manuscrite dont l’image numérique est obtenue après avoir été scannée ou directement dessinée numériquement sur des documents le permettant (ex : document PDF) et qui, selon la jurisprudence, ne permet pas d’établir et de prouver l’identité et le consentement du signataire à l’acte en question.
A ce propos, une proposition ministérielle du 1er juillet 2014 a affirmé qu’une signature manuscrite scannée n’a « aucune valeur juridique »(4).
En ce sens la question de la valeur juridique de la signature scannée a été posée à la chambre sociale de la cour de cassation concernant la signature d’un CDD. par un arrêt en date du 14 décembre 2022, cette dernière a rappelé qu’une signature scannée n’est pas assimilée à une signature électronique.
Pour autant, cette position est à nuancer, la cour ayant considéré « qu’il n’était pas contesté que la signature en cause était celle du gérant de la société et permettait parfaitement d’identifier son auteur » et qu’ainsi « l’opposition de la signature manuscrite numérisée du gérant de la société ne valait pas absence de signature »(5).
Une telle analyse avait déjà été admise concernant :
- Les actes de contraintes émis par un organisme de sécurité sociale (6) ;
- Ou encore un avenant à un accord d’entreprise (7).
Concernant la signature numérisée sur une lettre de licenciement, il n’y a pas de raison de croire qu’à ce jour la position soit différente de celle adoptée par la cour de cassation le 14 décembre 2022, étant précisé que cette dernière avait considéré en 2006 que « l’irrégularité pouvant affecter la procédure de licenciement, relative à la signature numérisée figurant sur la lettre de licenciement, ne peut suffire à priver de cause le licenciement » (8).
Autrement dit, l’irrégularité relative à la signature numérisée figurant sur la lettre de licenciement peut éventuellement affecter la procédure de licenciement et donner lieu à une sanction indemnitaire plafonnée à un mois de salaire (article L.1235-2 du code du travail), mais elle ne peut suffire à priver ce dernier de cause réelle et sérieuse.
Enfin, par un arrêt récent du 13 mars 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation (9) a réaffirmée que le procédé qui consiste à scanner une signature est valable, mais que pour autant, il ne peut pas être assimilé à la signature électronique, et ne bénéficie donc pas de la présomption de fiabilité, contrairement à cette dernière.
En conséquence, la signature électronique permet d’établir l’identité et le consentement de l’auteur de la signature, contrairement à la signature manuscrite scannée et/ou apposée numériquement dont la force probante est moindre et contestable. Néanmoins, ce procédé doit être utilisé correctement.
Plan :
A. L’horodatage : une garantie d’intégrité à ne pas désavouer
B. Signature manuscrite et signature électronique : un mariage utile ?
C. Quelle est la force probante de la copie imprimée du document signé électroniquement ?
D. De quelle façon conserver les documents signés électroniquement ?
E. L’utilité des paraphes dans les actes signés électroniquement
A. L’horodatage : une garantie d’intégrité à ne pas négliger
L’horodatage est un procédé technique qui consiste à associer une date et une heure à un évènement (ex: heure d’envoi, de consultation, de signature). Ce procédé permet de rendre un document infalsifiable en garantissant son intégrité et son authenticité.
Cet horodatage est constaté par un certificat électronique émis par une autorité de certification, tiers de confiance.
Ce procédé technique répond ainsi aux exigences relatives à la force probante de l’écrit électronique édictées par l’article 1366 du code civil qui prévoit que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité »(10).
Cependant, lorsqu’il s’agit de signature électronique, les parties ne se réunissent pas physiquement autour d’une table. De ce fait, il est courant que les signataires apposent leur signature à des dates différentes, ou qu’ils ne signent pas le document le jour de son envoi, bien que celui-ci porte une date spécifique.
Le conseil d’Alister Avocats : En cas de signature électronique, il est recommandé de définir un ordre de signature et de configurer l’enveloppe, de manière à ce que la date inscrite sur le document soit automatiquement apposée lorsque le dernier signataire, préalablement désigné, signe.
Cette pratique garantit que la date figurant sur le document correspondra à l’horodatage final.
B. Signature manuscrite et signature électronique : un mariage possible ?
Tel que précisé ci-dessus, la signature électronique permets de garantir :
- l’identité des signataires,
- authenticité de leur signature,
- une date de signature,
et d’une façon plus générale l’intégrité et l’authenticité du document signé.
En conséquence, en cas d’association de ces deux modes de signature, l’intégrité et l’authenticité des signatures manuscrites ne pourront pas être certifiées.
Le conseil d’Alister Avocats : Les signatures manuscrites et électroniques présentent des fonctionnalités et des cadres juridiques distincts. Il est ainsi déconseillé de combiner ces deux types de signatures dans un même document.
C. Quelle est la force probante de la copie imprimée du document signé électroniquement ?
L’article 1379 du Code civil prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original mais sa fiabilité est laissée à l’appréciation du juge. Néanmoins est réputée fiable la copie exécutoire ou authentique d’un écrit authentique »(11).
Il convient donc que la copie du document signé électroniquement soit fiable, ce qui est notamment le cas en cas de certification avec un numéro d’identification unique du document.
Dans la pratique, les copies des documents ayant fait l’objet d’une signature électronique « avancée » sont admis comme fiables et acceptées devant les tribunaux et administrations telles que le registre du commerce et des sociétés (RCS), le centre des formalités des entreprises (CFE) ou l’INPI.
Depuis la loi de finance de 2021, l’administration fiscale admet également la possibilité d’enregistrer des copies d’actes sous seing privé dont l’original est dématérialisé (article 849 du CGI)(12).
D. De quelle façon conserver les documents signés électroniquement ?
La conservation des documents signés électroniquement est une nécessité afin de couvrir un hypothétique contentieux.
Certains prestataires de signature électronique proposent un système d’archivage des documents signés électroniquement, pour une durée de conservation variable. Néanmoins, ces durées de conservation ne correspondent pas nécessairement aux délais de prescription légaux.
Le conseil d’Alister Avocats : lors de la signature électronique d’un document, il est essentiel de conserver :
- l’acte signé électroniquement dans un format standard (type PDF),
- le certificat de preuve (ou de réalisation) comprenant l’identité des signatures, l’horodatage, la traçabilité et l’intégrité des éléments relatifs à l’authenticité du document.
E. L’utilité des paraphes dans les actes signés électroniquement
Le paraphe est un signe manuscrit, le plus souvent constitué des initiales des noms et prénoms du signataire ou de sa signature. Il est apposé en bas de chacune des pages de l’acte signé ou à la marge de modifications manuscrites apposées sur un acte.
Cette pratique a deux fonctions principales :
- s’assurer que le signataire ne s’est pas contenté de signer la dernière page et qu’il a lu l’acte entier ;
- éviter l’ajout ou la destruction de pages intermédiaires après la signature de l’acte.
Pour déterminer l’utilité des paraphes dans les actes signés électroniquement, il convient de distinguer entre deux types d’actes :
- les actes sous signature privés: en cas de signature électronique d’un acte, un seul exemplaire unique téléchargeable fait office d’original. L’intégralité de l’acte étant certifié, l’intégrité de l’ensemble du document est garantie et l’utilité du paraphe disparait.
- les actes notariés: le paraphe est exigé à peine de nullité (13) sauf pour les pages d’annexe (14). Toutefois, lors de la signature électronique, cette exigence a été levée, car le processus de signature électronique lui-même prévient toute substitution ou addition (15).
La signature électronique est devenue un outil incontournable pour les entreprises. Il est néanmoins essentiel d’avoir connaissance des bonnes pratiques afin de tirer le meilleur parti de cette technologie, tout en évitant les pièges potentiels.
Vous souhaitez des conseils sur la signature électronique et sa mise en place dans votre entreprise ? Notre équipe du département Droit des sociétés et droit des contrat se tient à votre disposition pour vous assister dans cette démarche et répondre à vos questions.
5. Cour de cassation, chambre sociale, 14 décembre 2022, pourvoi n°21-19.841
6. Cour de cassation, 2ème chambre civile, 12 mai 2021, pourvoi n°20-10.826
7. Cour de cassation, chambre sociale, 5 janvier 2022, pourvoi n°20-17.113
8. Cour de cassation, chambre sociale, 17 mai 2006, pourvoi n°04-46.706
9. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 mars 2024, pourvoi n°22-16.487, Inédit
10. Article 1366 du Code Civil
11. Article 1379 du Code Civil
12. Article 849 du Code Général des Impôts
13. Décret 71-941 du 26 novembre 1971, article 14
14. Cour de cassation, chambre mixte, 16 novembre 2007, pourvoi n°03-14.409
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