La protection des lanceurs d’alerte dans l’entreprise

Le 16/10/2025

 

Rédigé par Didier Lods et Florence Baile

 

Depuis que la loi dite Waserman du 21 mars 2022 a transposé en France la directive européenne 2019/1937 relative à la procédure de signalement des alertes et à la protection des lanceurs d’alertes, la question se pose de plus en plus fréquemment de la notion même d’alerte et du périmètre de cette protection, face notamment aux situations de harcèlement ou de discrimination.

1. La définition du lanceur d’alerte en droit européen et français

La directive européenne définit un lanceur d’alerte comme « toute personne signalant, en interne ou en externe, une violation du droit de l’UE dans le cadre de son activité professionnelle ».

 

Son champ d’application ne comprend pas les signalements relevant des ressources humaines (discrimination, harcèlement, santé et sécurité des employés).

 

Cependant, la Loi française a élargi le domaine de protection des lanceurs d’alerte au-delà du périmètre européen :

 

  • Un lanceur d’alerte est au terme de l’article 1 : « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. ».

 

  • La liste des personnes protégées pour avoir signalé les informations ci-dessus est extrêmement large, puisque ce sont :

 

– les salariés de l’entreprise,

 

– les personnes dont la relation de travail s’est terminée, lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de cette relation,

 

– les personnes qui se sont portées candidates à un emploi au sein de l’entreprise concernée, lorsque les informations ont été obtenues dans le cadre de cette candidature,

 

– les collaborateurs extérieurs et occasionnels,

 

– les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance,

 

– les cocontractants de l’entreprise concernée, leurs sous-traitants ou, lorsqu’il s’agit de personnes morales, les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de ces cocontractants et sous-traitants ainsi que les membres de leur personnel.

 

– La protection est étendue à trois catégories de personnes liées au lanceur d’alerte :

 

1) Les « facilitateurs », c’est-à-dire « toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation […] » résultant de faits illicites.

 

La Loi française permet ainsi la protection des associations et organisations syndicales ;

 

2) les « personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte […] [risquant de faire l’objet de mesures de représailles] dans le cadre de leurs activités professionnelles de la part de leur employeur ou de leur client ou du destinataire de leurs services ». Dans l’entreprise, il s’agit des collègues de travail du lanceur d’alerte ;

 

3) les « entités juridiques contrôlées […] par un lanceur d’alerte […] pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel ».

 

La Loi vise le signalement, non seulement des crimes et délits, mais également de toute atteinte à l’intérêt général, toute tentative de dissimulation d’une violation du droit français, européen ou international.

 

En matière de harcèlement moral ou sexuel, la Loi Waserman a expressément étendu à la personne signalant être victime d’un tel harcèlement la protection des lanceurs d’alerte, laquelle est encore plus large que la protection visée par le code du travail pour cette situation spécifique (art L1152-2 et L1153-2 du code du travail modifiés).

2. Les différents modes de signalement des alertes

Le droit européen prévoit trois modes de signalement :

 

  • Interne (au sein de l’entreprise) ;

 

  • Externe (signalement à l’autorité judiciaire ou à une institution, un organe ou un organisme de l’UE compétent) ;

 

  • Public (divulgation à la presse ou aux réseaux sociaux, sous conditions).

 

La loi Waserman permet désormais au lanceur d’alerte de s’adresser directement à une autorité externe telle que la Direction Générale du Travail ou le Défenseur des Droits, sans passer au préalable par un signalement interne.

 

Les entreprises sont donc fortement incitées à mettre en place un dispositif interne de recueil de signalements fiable et de confiance afin d’éviter que le lanceur d’alerte n’utilise directement un canal externe.

3. La procédure de signalement interne

Les modalités de cette procédure diffèrent selon la taille de l’entreprise :

 

  • Les entreprises de moins de 50 salariés n’ont pas l’obligation de mettre en place une procédure interne de recueil et de traitement des signalements ; les informations peuvent être signalées au supérieur hiérarchique direct ou indirect, à l’employeur ou à un référent désigné par celui-ci.

 

  • Les entreprises employant au moins 50 salariés sont en revanche tenues d’établir une procédure interne structurée de recueil et de traitement des signalements.

 

Le Décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 a précisé les modalités de mise en place, le contenu et le support juridique de cette procédure, en particulier : 

 

  • La mise en place : l’employeur établit la procédure interne après consultation du Comité Social et Economique. La procédure est diffusée ensuite par l’entreprise par tout moyen en assurant une publicité suffisante, notamment par voie de notification, affichage ou publication, sur son site internet ou par voie électronique, et chaque salarié doit en être informé individuellement.

 

Les entreprises de moins de 250 salariés, ainsi que les sociétés d’un même groupe peuvent mettre en commun leur procédure de recueil et de signalement.

 

  • Le contenu : la procédure doit déterminer les modalités de transmission et de consignation du signalement(lequel peut être anonyme ou non, écrit ou oral), les personnes ou services qui sont chargées de le recueillir, de le vérifier et de le traiter, ainsi que les garanties permettant l’exercice impartial de ces missions, et garantir le respect de la confidentialité. Elle doit également prévoir d’accuser réception du signalement sous 7 jours à son auteur, et de l’informer par écrit d’une part dans un délai maximum de 3 mois sur les mesures envisagées, et d’autre part en fin de traitement, sur la clôture du signalement.

 

  • Le support juridique de la procédure : le Décret de 2022 laisse aux entreprises la liberté d’adopter le support qu’elles estiment le mieux adapté ; la procédure peut donc être formalisée par un guide, une charte, un code de conduite, une note de service, voire un accord collectif.

 

L’absence de mise en œuvre d’un dispositif de signalement des alertes ou de traitement des alertes, même s’il s’agit d’une obligation légale, ne fait pas l’objet de sanctions spécifiques. L’entreprise s’expose néanmoins dans ce cas à plusieurs risques juridiques dérivés, en particulier :

 

  • la mise en cause de sa responsabilité à la demande d’un lanceur d’alerte qui aurait justifié ne pas avoir pu bénéficier d’une démarche de signalement sécurisée et de la confidentialité attachée à ce signalement, voire pour manquement à l’obligation de prévention des risques en matière de santé/sécurité ;

 

  • la condamnation pour faute inexcusable en cas d’accident du travail en lien avec une alerte ;

 

  • de façon plus pragmatique, le rejet de sa candidature dans certains appels d’offres qui exigent une conformité à la loi en la matière ;

 

Outre l’atteinte à l’image de l’entreprise, si le signalement devient public.

 

En pratique, en cas de signalement, une enquête interne peut être nécessaire, en respectant les règles suivantes :

 

  • désignation d’un enquêteur impartial (interne ou externe) ;

 

  • respect du contradictoire ;

 

  • encadrement strict des accès aux données (messageries, dossiers professionnels), afin de respecter la confidentialité et le RGPD.

4. L’interdiction des sanctions à l’encontre des lanceurs d’alerte

Le droit européen interdit toute sanction contre un lanceur d’alerte (sanction disciplinaire, licenciement, rétrogradation, intimidation, blacklistage, atteinte à la réputation, etc.).

 

En France, la protection des lanceurs d’alerte a été élargie aux proches du lanceur d’alerte et aux facilitateurs (syndicats, collègues de travail, ONG).

 

Ainsi, si le lanceur d’alerte est un salarié, ce dernier s’il a été licencié peut obtenir la nullité de son licenciement, assortie de sa réintégration et de dommages et intérêts. Il peut saisir à cet effet, pour plus de rapidité, la formation des référés.

 

A titre de sanction complémentaire, le juge peut prononcer l’abondement du compte personnel de formation (CPF) du salarié par l’employeur, à concurrence d’un plafond de 8 000 €.

 

En outre, le lanceur d’alerte, de même que ses proches et les « facilitateurs », bénéficie d’une immunité à la fois civile et pénale : il n’est pas civilement responsable des dommages causés du fait du signalement ou de la divulgation publique, dès lors qu’il avait des motifs raisonnables de croire, lorsqu’il y a procédé, que le signalement ou la divulgation de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

 

Sur le plan pénal, la Loi prévoit une irresponsabilité pénale en cas d’atteinte à un secret professionnel protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, et que le signalement a été fait dans le respect des procédures légales.

 

Ces immunités ne concernent toutefois pas les atteintes au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret de l’instruction judiciaire, et au secret professionnel de l’avocat qui sont en tout état de cause exclus du régime légal de l’alerte.

 

Fausses alertes et signalements abusifs

 

Si un signalement est effectué de mauvaise foi, c’est-à-dire s’il avait connaissance de la fausseté des faits, le lanceur d’alerte ne bénéficie d’aucune protection ; s’il s’agit d’un salarié il peut être sanctionné, y compris par un licenciement disciplinaire.

 

L’appréciation de la bonne ou mauvaise foi du lanceur d’alerte relève en cas de litige de l’appréciation souveraine des juges du fond.

 

En tout état de cause, la seule circonstance que les faits ne soient pas établis ne signifie pas que le lanceur d’alerte est de mauvaise foi (Cass soc. 8 juillet 2020 n°18-13.593).

 

5. Le Règlement intérieur et la protection des lanceurs d’alerte

Depuis le 1er septembre 2022, le Règlement intérieur, obligatoire dans les entreprises dont l’effectif est au moins égal à 50 salariés, doit rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte.

 

Enfin, l’existence et le contenu du dispositif de recueil et de traitement des alertes peut également faire l’objet d’un contrôle par les Inspecteurs du travail, la Cnil ou à l’occasion d’un contentieux, par le juge judiciaire, notamment un contentieux intenté par un salarié se prévalant du statut de lanceur d’alerte.

 

Dans le contexte global tel qu’exposé ci-dessus, les entreprises de 50 salariés et plus qui ne se sont pas encore dotées d’un dispositif de recueil et de traitement des alertes auront donc avantage à le mettre en place rapidement.

 

***

 

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