Droit des sociétés en Allemagne – réforme du 1er janvier 2024 du droit des sociétés de personnes

Le 01/05/2024

 

Écrit par Jochen Bauerreis (Rechtsanwalt & Avocat) et Lennart Gebele  (Rechtsanwalt)

 

 

Le droit allemand reconnaît la personnalité juridique de la société civile de droit allemand (GbR)

La loi allemande sur la modernisation du droit des sociétés de personnes (MoPeG), promulguée le 17 août 2021 dans le journal officiel fédéral, est entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Cette vaste loi modificative concerne de nombreux aspects juridiques et apporte des modifications à un total de 136 dispositions législatives.

 

C’est sur le droit des sociétés civiles (GbR – Gesellschaft bürgerlichen Rechts) que la réforme a eu le plus d’impact. En effet, le droit codifié des sociétés civiles est resté largement inchangé depuis l’entrée en vigueur du Code civil allemand (BGB – Bürgerliches Gesetzbuch) le 1er janvier 1900. Toutefois, la jurisprudence a considérablement évolué et ce notamment au cours des dernières décennies. Afin de refléter cette évolution et de garantir la sécurité juridique, le législateur allemand a réformé le droit des sociétés de personnes en se servant majoritairement de la méthode de la codification à droit constant.

 

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Dans la mesure où la loi de modernisation s’applique également aux sociétés existantes et ce sans régime transitoire, les entreprises ont tout intérêt à être au courant des nouveautés !

La GbR : Une seule notion pour trois types de sociétés de droit français

Le droit allemand distingue deux catégories principales de la société civile qui ont pour équivalent trois types de sociétés de droit français :

 

  • La société civile dite « externe » (Außengesellschaft) qui, selon la volonté commune des associés, a vocation à participer au commerce juridique. Cette structure correspond à la société civile classique de droit français, notamment connue sous la forme de société civile immobilière (SCI) et de société civile professionnelle (SCP).

 

  • La société civile dite « interne » (Innengesellschaft) qui, selon la volonté commune des associés, n’a pas vocation à participer au commerce juridique. Cette catégorie de société civile interne englobe en effet deux différents types de sociétés de droit français :

 

– La société en participation: Ne voulant pas exercer une quelconque activité entrepreneuriale vis-à-vis des tiers, les associés se regroupent en société civile qui a alors pour seul objectif de régler les relations internes des associés.

 

– La société créée de fait : Deux ou plusieurs personnes agissent comme des associés, c’est-à-dire partagent pertes et bénéfices de l’activité exercée. Sans avoir exprimé leur volonté, les associés forment ainsi une société sans avoir effectué aucun acte juridique de création.

La capacité juridique de la société civile externe enfin reconnue par la loi

L’un des changements les plus importants apportés par la MoPeG concerne la capacité juridique de la GbR. Ce point a fait l’objet de vives controverses au cours des dernières décennies : en dernier lieu, la jurisprudence allemande accordait une capacité juridique partielle (Teilrechtsfähigkeit), et ce exclusivement aux sociétés civiles externes (Außengesellschaften).

 

Suite aux nouvelles exigences du monde moderne des sociétés de personnes, le droit a dû être adapté en clarifiant le régime juridique :

 

  • La société civile externe est désormais dotée d’une capacité juridique illimitée ( § 705 al. 2, 1ère alternative BGB).

 

– La société civile externe peut elle-même être titulaire de droits et d’obligations et elle peut conclure des contrats de manière indépendante.

 

– La société civile externe a la capacité d’ester en justice : elle peut elle-même intenter une action en justice et se voir assigner en justice. La possibilité d’agir séparément contre chaque associé d’une GbR subsiste néanmoins.

 

  • La société civile interne qui n’exerce pas d’activité entrepreneuriale et qui a pour seul objectif de déterminer les rapports juridiques internes entre ses associés reste cependant une société civile sans capacité juridique ( § 705 al. 2, 2ème alternative BGB).

 

Les associés d’une société civile de droit allemand disposent ainsi d’une véritable option entre la création d’une société civile dotée ou non de la capacité juridique.

 

En revanche, et contrairement au droit français, il est important de préciser que l’immatriculation n’est pas constitutive d’une société civile externe dès lors que le § 705 BGB dispose expressément que la seule volonté commune des associés de participer au commerce juridique suffit et que dans l’hypothèse où l’objet de la société civile est l’exploitation d’une entreprise sous un nom commun la volonté commune des associés de participer au commerce juridique est présumée.

Un nouveau registre des entreprises pour la GbR

La MoPeG introduit un nouveau « registre des sociétés » conçu spécifiquement pour la GbR (Gesellschaftsregister) lorsque les associés procèdent à l’immatriculation de leur société. En effet, la nouvelle législation prévoit le principe d’une immatriculation facultative pour les GbR externes. Cependant, il existe une exception très importante en pratique car toute GbR qui est propriétaire de biens immobiliers, de droits de marque ou de participations dans une autre société et qui souhaite interagir commercialement avec des tiers est contrainte de facto de s’inscrire dans ce nouveau registre.

 

Une telle GbR inscrite au registre des sociétés porte désormais le complément de nom « société civile enregistrée » (eGbR – eingetragene Gesellschaft bürgerlichen Rechts). Par ailleurs, les bénéficiaires effectifs d’une eGbR doivent désormais figurer au registre allemand de transparence (Transparenzregister).

 

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L’inscription de la GbR au registre des sociétés doit obligatoirement se faire devant un notaire. D’autres opérations en rapport avec l’eGbR, telles que le changement de dénomination, le changement d’associé, le changement dans la gérance ou le transfert de siège, nécessitent également la forme notariée.

L’eGbR et son nouveau rôle à l’échelle internationale

Alors que le législateur allemand et la jurisprudence de la CJUE réservaient jusqu’à présent exclusivement aux sociétés de capitaux la possibilité de transférer leur siège effectif de direction (siège réel) de l’Allemagne à l’étranger tout en conservant leur forme juridique, cela est désormais également possible pour les sociétés civiles enregistrées (eGbR).

 

En vertu du § 706 BGB, les associés d’une eGbR peuvent convenir d’un lieu quelconque en Allemagne comme « siège statutaire » de leur société civile, alors que le « siège réel » (administration centrale, c’est-à-dire le lieu où les opérations commerciales sont effectivement effectuées) est situé à l’étranger. En effet, il s’agit ici d’une manifestation de la « théorie de l’incorporation » en vertu de laquelle le droit applicable à une société reste toujours celui de l’État de sa constitution, en l’espèce celui de l’Allemagne quand bien même le siège réel (administration centrale) sera transféré à l’étranger.

 

Cela vaut pour tous les États membres de l’Union Européenne qui doivent respecter la jurisprudence de la CJUE relative à la liberté d’établissement (notamment sur la base des arrêts Centros, Überseering et Inspire Art) ainsi que pour tous les pays tiers qui adhèrent à la théorie d’incorporation. Force est de préciser finalement qu’en vertu d’un accord bilatéral entre l’Allemagne et les États-Unis garantissant l’application de la théorie d’incorporation entre ces deux pays (29/10/1954), une eGbR peut par exemple transférer son siège administratif aux États-Unis, tant que son siège statutaire demeurera sur le territoire allemand.

 

N.B. : La directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019 relative aux fusions, scissions et transformations transfrontalières qui a été transposée en France par l’ordonnance n°2023-393 du 24 mai 2023 et en Allemagne par la loi « UmRUG » entrée en vigueur le 1er mars 2023 ne concerne que les sociétés de capitaux.

La MoPeG apporte des changements importants pour les sociétés de personnes et notamment pour les sociétés civiles.

Toute société civile qui est propriétaire de biens immobiliers ou de participations dans d’autres sociétés est obligée de procéder le plus rapidement possible à son inscription au nouveau registre des sociétés (Gesellschaftsregister) afin de garantir toutes ses capacités juridiques et opérationnelles relatives à l’exercice de ses droits de propriété.

 

De plus, la réforme allemande sur le droit des sociétés de personnes offre de nouvelles opportunités au niveau international.

 

Notre équipe Alister Avocats – German Desk se tient à votre entière disposition pour vous apporter son assistance et son expertise transfrontalières afin de mettre en œuvre les démarches nécessaires et de vous permettre de vous conformer à la nouvelle réglementation de droit allemand.

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