Création du délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale

Le 02/04/2024

 

Article 1744 du CGI créé par la loi de finances pour 2024 – Création du délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale (1)

 

Écrit par Livia Salvagno-Gaslain

 

  • 7 à 27 milliards d’euros pour l’État français et pour les seuls impôts des particuliers (2)… Cet écart fiscal correspond à la différence entre l’impôt devant être payé en application de la loi fiscale et celui effectivement acquitté par les contribuables.

 

  • 21.3 millions d’euros (3)… Le budget affecté au datamining fiscal, avec comme objectifs le doublement des contrôles fiscaux des particuliers par le croisement des données, le renforcement du système d’algorithmes et des outils informatiques.

 

  • 3,4 millions d’euros (4)… Montant des indemnisations payées par l’Administration fiscale aux aviseurs fiscaux. Les aviseurs fiscaux sont des personnes membres d’entités de droit privé ayant transmis à l’Administration fiscale des informations révélant des manquements de contribuables en matière de fiscalité internationale et en matière de TVA (5).

 

  • 15%… L’OCDE, au travers des mesures Pilier 1 et Pilier 2, cherche une forme de justice fiscale par le biais de l’instauration, notamment, d’un taux minimal d’imposition mondial fixé à 15% (lequel demandera à tous nos confrères fiscalistes de se former aux comptes consolidés, notion proéminente dans tous les textes de mise en œuvre de ces mesures).

Le traitement de données, le renseignement humain et une mesure financière peuvent-ils être regardés comme suffisants au regard de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et des enjeux financiers qui y sont attachés ?

 

Apparemment non puisque le législateur a institué un nouveau délit visant la communication (6).

 

Ce délit est inédit en ce qu’il réprime, non pas des actes auxquels s’appliquent, notamment, le datamining et l’indemnisation des aviseurs fiscaux, mais la préméditation ou, en d’autres termes, l’intention.

 

Autrement dit, si cela n’était pas suffisamment évident, l’ère est à la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale.

Le délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale créé par la loi de finances pour 2024

L’on serait tenté de ne pas reprocher au législateur, investi des pouvoirs de vote et de contrôle du budget de l’État, d’autoriser l’Administration fiscale de recouvrer le significatif manque à gagner d’activités ou d’opérations frauduleuses, les deniers recouvrés en application de la législation étant destinés à financer les charges publiques (santé, éducation, justice, sécurité …).

 

Toutefois, alors même qu’il découle directement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, la louable volonté de lutter, envers et contre tout, contre la fraude et l’évasion fiscale peut-elle être considérée comme la source de basculement et d’incohérences juridico-fiscales ?

 

Un vieil adage consiste à dire « notre liberté s’arrête là où celle de l’autre commence ». Transposé à notre contexte, certaines questions de compatibilité se posent entre ce texte et l’exercice de la profession d’avocat, dans son rapport avec son client.

Quel est l’objectif du législateur en créant un tel délit ?

Le texte étudié aujourd’hui a une vocation dissuasive et souhaite réprimer les intermédiaires qui pourraient être susceptibles de participer à la fraude fiscale (avocats, comptables, notaires, agents immobiliers, conseils en gestion de patrimoine …). Autrement dit, tous les acteurs juridiques et fiscaux ne peuvent ignorer cette mesure et doivent désormais participer à la lutte contre la fraude fiscale.

 

L’OCDE a publié le 25 février 2021 un rapport « En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc ». Ce rapport, dont le titre est suffisamment évocateur, posait le contexte et la définition des intermédiaires fiscaux qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc

 

Des contre-stratégies sont formulées par l’OCDE à titre de recommandations pour lutter contre les agissements des intermédiaires fiscaux : « veiller à ce que la loi confère aux enquêteurs des pouvoirs suffisants pour identifier, poursuivre et sanctionner les intermédiaires fiscaux, de manière à dissuader et pénaliser ceux qui ont facilité la criminalité fiscale ».

 

Ce délit, codifié à l’article 1744 du Code Général des impôts (« CGI » ci-après) et créé par la Loi de finances pour 2024, s’inscrit dans la lignée de ce rapport qui mettait déjà en exergue le rôle de l’intermédiaire fiscal dans la commission de la fraude fiscale.

 

Loin d’être inconnus des législateurs français, les intermédiaires fiscaux avaient, dès 2018, été visés par l’article 1740 A bis du CGI et une amende de 50% des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable.

Comment est caractérisé ce délit ?

Ce délit vise la mise à disposition, à titre gratuit ou onéreux, d’un ou de plusieurs moyens, services, actes ou instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers dans le but de permettre à un ou plusieurs tiers de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel d’impôts.

 

En pratique, ce délit est susceptible d’être caractérisé quelle que soit la nature des relations entre la personne à l’origine de la mise à disposition (qui peut être un particulier ou un professionnel, personne physique ou personne morale) et le ou les tiers en ayant bénéficié pour se soustraire à l’impôt. 

 

La caractérisation de ce délit appelle plusieurs commentaires :

  • S’il est nécessaire qu’une relation soit établie pour caractériser ce délit, la lettre du texte ne fait aucunement référence à un lien contractuel entre la personne à l’origine de la mise à disposition et la ou les bénéficiaires.

 

  • Cette absence de nécessité d’un lien contractuel entre les parties, cumulée avec la notion de mise à disposition « à titre gratuit» à laquelle le texte fait référence, laisse entendre que le législateur ne fait aucune différence entre la sphère privée et la consultation, par exemple, délivrée gratuitement sans contrepartie financière dans le cadre de son exercice professionnel.

 

  • Aucune précision n’est apportée quant à l’articulation des moyens, ni quant aux règles d’application dans le temps de ce nouveau dispositif. En effet, des difficultés pourraient surgir s’agissant de l’application de la loi dans le temps. L’article 1744 du Code général des impôts, modifié par la loi de finances pour 2024, est entré en vigueur le 31 décembre 2023(7). Dès lors, les infractions commises depuis le 31 décembre 2023 sont sanctionnées sur le fondement des dispositions issues de ladite loi.

 

En tout état de cause, le délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale étant créé par la loi de finances pour 2024, les infractions commises avant le 31 décembre 2023 ne sont pas soumises aux nouvelles dispositions.

Qui sont les personnes et les impôts visés par ce dispositif ?

Il s’agit des avocats fiscalistes, conseillers juridiques, comptables notaires, fiduciaires économiques … En somme, l’ensemble des acteurs susceptibles d’être sollicités par le contribuable afin de concrétiser des montages fiscaux et financiers.

 

Si l’OCDE, dans son rapport sur les intermédiaires fiscaux, distingue les « intermédiaires fiscaux » des « spécialistes fiscaux », les premiers « conçoivent délibérément et résolument des stratégies visant à faciliter la commission d’infractions fiscales ». A contrario, on comprend que le spécialiste fiscal n’est pas animé de telles intentions.

 

C’est cette notion d’intentions qui pose question ici. Nous reviendrons sur ce point.

 

En effet, l’article 1744 du Code général des impôts ne définit pas les intermédiaires juridiques, fiscaux, comptables ou financiers, susceptibles d’être sanctionnés au titre du délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale. Or, le principe d’accessibilité et d’intelligibilité (8) de la loi implique que cette dernière soit aisément compréhensible.

 

En conséquence, cette absence de définition officielle des intermédiaires peut potentiellement créer une insécurité juridique. Cette dernière est toutefois limitée car l’article 1744 précité énonce les domaines entrant dans son champ d’application, à savoir les domaines juridiques, fiscaux, comptables ou financiers.

 

Par ailleurs, l’article 1740 A bis du CGI prévoit une sanction administrative à l’encontre des intermédiaires juridiques, financiers ou comptables. Il s’agit d’une amende égale à 50% des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable et ne pouvant être inférieure à un montant de 10 000 €.

 

Bien que cette sanction ne soit pas cumulable avec celles prévues par l’article 1744 précité, l’article 1740 A bis du CGI donne implicitement une définition des intermédiaires fiscaux. Ces derniers peuvent être définis comme toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère fiscal « a intentionnellement fourni » à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable des agissements, manquements ou manœuvres sanctionnés. Ainsi, lorsque de tels intermédiaires favorisent les manquements graves des contribuables à leurs obligations, la pénalité de l’article 1740 A bis du CGI s’applique.

 

Enfin, tous les impôts mentionnés au Code général des impôts sont concernés.

Quels sont les moyens, services, actes ou instruments concernés ?

Les moyens, services, actes ou instruments visés par l’article 1744 précité sont les suivants :

 

  • L’ouverture de comptes ou la souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger ; 

 

  • L’interposition de personnes physiques ou morales ou d’organismes, fiducies ou institutions comparables établis à l’étranger ; 

 

  • La fourniture d’une fausse identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification ; 

 

  • La mise à disposition ou la justification d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ; 

 

  • La réalisation de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration.

 

Ces moyens soulèvent plusieurs questions, sans réponse pour l’heure :

 

  • Si les deux premiers moyens susvisés sont des dispositifs légaux, quel procédé usité par les intermédiaires serait de nature à les rendre illégaux ? Une grille de lecture à cet égard, par l’Administration fiscale, serait souhaitable.

 

  • La fourniture de faux documents, déjà sanctionnée par l’article 441-1 du Code pénal, n’entraîne-t-elle pas un cumul de sanctions ?

 

  • S’agissant de l’application territoriale, comment est défini « l’étranger » s’agissant de la domiciliation fiscale fictive ou artificielle ?

Comment se concrétise la répression de ce délit ?

Synthétiquement,

 

  • L’Administration fiscale peut signaler l’infraction au parquet mais elle n’a pas le monopole en la matière.

 

  • Le Ministère public peut poursuivre ce délit sans plainte préalable ou à la suite d’une plainte de l’Administration fiscale sans avis conforme de la Commission des infractions fiscales. 

 

  • Seul le Ministère public a la charge de la preuve du caractère intentionnel du délit.  

Quelles sont les sanctions encourues en vertu de l’article 1744 du CGI ?

Les sanctions sont schématisées ci-dessous :

 

A titre de précision, le service de communication au public en ligne vise les officines offshores basées, notamment, dans les Etats et Territoires non coopératifs (« ETNC ») et qui n’ont d’autre but que celui de créer des sociétés fictives permettant le rapatriement de fonds en toute discrétion et en toute neutralité fiscale. Autrement dit, les promoteurs de dispositifs voient leur peine d’emprisonnement, pour les personnes physiques exclusivement, et leur amende applicables pratiquement doublées comparativement au cas où la mise à disposition d’instruments de facilitation du délit de fraude fiscale s’est effectué en l’absence d’une telle promotion. Une telle distinction n’est pas opérée s’agissant des personnes morales, ce qui renforce l’idée que derrière la société, c’est la responsabilité des intermédiaires fiscaux qui est prioritairement recherchée.

Pourquoi ce texte fait-il émerger une complicité quasi-automatique et problématique de l’avocat avec le client ?

Si l’avocat peut se voir engager sa responsabilité au titre de défaut de conseil ou d’une faute professionnelle commise dans le cadre de son exercice, la lettre de mission émise par l’avocat sert à déterminer les contours de sa responsabilité. En effet, le périmètre d’intervention et les problématiques pour lesquelles il est sollicité figurent dans ce document contractuel.

 

Par conséquent, l’avocat devra être encore plus attentif aux besoins du clients qu’ils devront déterminer ensemble afin de sécuriser les montages fiscaux envisagés et de prévenir les futurs potentiels contentieux fiscaux.

 

Ainsi, dans le cadre de sa relation privilégiée avec le client protégée par le secret professionnel, l’avocat fiscaliste devra veiller à s’imposer comme un spécialiste de la matière et non comme un intermédiaire.

 

Vous avez des questions sur le délit de mise à disposition d’instruments de fraude fiscale ? Vous pouvez contacter les avocats de notre département droit fiscal.

 

 

[1] Loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 113.

[2] Rapport d’initiative citoyenne établi par la Cour des comptes et publié le 15 novembre 2023, page 11.

[3] Rapport d’initiative citoyenne établi par la Cour des comptes et publié le 15 novembre 202, page 36.

[4] Rapport d’initiative citoyenne établi par la Cour des comptes et publié le 15 novembre 2023, page 57.

[5] Loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 123.

[6] Loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 113.

[7] Loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, article 113.

[8] Objectif de valeur constitutionnelle découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

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