Le 09/04/2025
Rédigé par Cécile Moreira
L’intelligence artificielle générative (IAG) soulève des questions majeures en matière de titularité et de protection des droits d’auteur qu’il convient d’appréhender pour anticiper une protection des droits.
Plus de 34.000 artistes, de tous métiers (musique, cinéma, théâtre, littérature, arts visuels…), ont signé en février 2025 sur un appel lancé par des organisations telles que la SACEM, la SPEDIDAM, l’ADAGP, l’ADAMI, une tribune visant à alerter les pouvoirs publics sur les dangers créés par l’IA (1).
Certains parlent de pillage de leurs œuvres par l’IA, d’autres, d’opportunités à saisir. Tous parlent de révolution. Beaucoup expriment une inquiétude.
Face à un tel constat, plusieurs interrogations se posent d’emblée :
1. Qu’est-ce que le droit d’auteur ?
En France, l’article L.111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que :
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous… »
En droit français, seul un être humain peut avoir la qualité d’auteur (à l’exception des œuvres collective au titre desquelles une personne morale peut être rendue titulaire de droits).
Pour qu’une œuvre puisse être protégée par le droit d’auteur, elle doit être originale, (c’est-à-dire refléter l’empreinte de la personnalité de son auteur ou refléter ses choix créatifs) et être matérialisée de façon tangible et perceptible.
Le droit d’auteur confère ainsi à l’auteur, personne physique, deux grandes catégories de droits que sont :
- les droits moraux qui sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. Ils incluent notamment le droit de divulgation, le droit à la paternité, au respect de l’intégrité de l’œuvre et,
- les droits patrimoniaux qui permettent à l’auteur d’exploiter son œuvre et/ou de contrôler l’utilisation de son œuvre. Ils incluent notamment les droits de reproduction, de représentation, d’adaptation et de distribution.
Les droits patrimoniaux durent pendant toute la vie de l’auteur et persistent à son décès au profit de ses héritiers et ayants droits pendant les 70 années qui suivent. (CPI – Article L.123-1).
2. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Il n’existe pas, à ce jour, de définition juridique de l’IA.
La CNIL définit l’intelligence artificielle comme « un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser des tâches bien définies » en soulignant le fait que ces algorithmes sont gourmands en données, souvent personnelles, et que leur usage nécessite le respect de certaines précautions (2).
Les IA génératives (IAG) telles que ChatGPT, Midjourney, Dall-E, Sora, …, sont programmées pour créer de manière autonome grâce à un apprentissage automatique à partir de milliers de données, des contenus variés, sons, textes, images, etc… Elles s’entraînent sur des ensembles de données permettant de perfectionner leurs algorithmes.
L’IA générative est ainsi capable de produire de la musique, des textes, des images, des vidéos, dont il devient difficile face aux progrès spectaculaires constatés, de distinguer si ces contenus sont créés par l’homme ou par la machine, ou bien par l’homme et la machine.
Une IA générative peut, en effet, produire des œuvres (littéraires, musicales, picturales) inédites, sans intervention humaine directe, notamment grâce aux technologies d’apprentissage profond (deep learning).
Cette œuvre sans intervention humaine n’est pas, en l’état actuel du droit, protégée par le droit d’auteur.
L’IA n’est pas dotée de la personnalité juridique. En tous cas, pas encore.
Inversement, une œuvre peut être générée par l’IA sur la base de prompts, d’instructions d’un artiste qui modifie et retravaille les résultats bruts apportés par l’IA dans le but de créer une œuvre originale.
Le degré d’intervention d’une intelligence artificielle dans le processus d’une création peut donc s’avérer difficile à apprécier.
Dès lors, l’IA générative soulève des défis majeurs, notamment concernant la titularité des droits d’auteur sur des œuvres créées par l’IA de façon autonome ou non, ainsi que sur la protection et la rémunération de ces droits.
L’utilisation par une IA générative de contenus protégés par le droit d’auteur, constitue-t-elle une violation de ces droits ?
Plusieurs auteurs reprochent à des IA génératives d’utiliser, de piller, par l’entraînement de leurs modèles, leurs œuvres sans leur consentement ni compensation financière.
Cependant, pour faire consacrer une violation des droits d’auteur par une IA, encore faut-il démontrer que le résultat généré par l’IA reproduit en intégralité ou au moins en partie, les caractéristiques originales d’une œuvre.
Il faudra également déterminer vers quelles personnes diriger une action, celles qui exploitent une œuvre générée par l’IA à partir de contenus protégés par le droit d’auteur ayant permis de l’entraîner, ou contre la plateforme d’IA, le fournisseur, l’éditeur. Il conviendra, en outre, de déterminer la juridiction compétente et le droit applicable.
Face à une telle complexité, des collectifs d’artistes ont décidé de promouvoir un label qui distinguerait les œuvres créées sans intelligence artificielle de celles créées avec l’assistance d’une IA (3).
D’autres encore utilisent des logiciels qui permettent d’induire en erreur les algorithmes des IA, en intégrant un film indétectable à l’œil nu, rendant inutilisable des images par des IA génératives.
Certains sites web permettent également de vérifier si une image a été utilisée pour entraîner une IA.
Aux États-Unis, l’État du Tennessee a adopté le 21 mars 2024, une loi visant à protéger les professionnels de l’industrie musicale contre les menaces de l’IA.
Cette loi « ELVIS ACT » (Ensuring Likeness, Voice and Image Security Act) vise à interdire aux IA génératives notamment de reproduire la voix d’un artiste interprète sans son consentement préalable et crée un régime de responsabilité spécifique (4).
Le règlement européen sur l’IA (AI Act) adopté par le Parlement européen le 13 juin 2024, contient des dispositions spécifiques visant les fournisseurs de modèles d’IA générale et les droits d’auteur.
L’article 53 (1.c) de l’AI ACT dispose que les fournisseurs doivent mettre en place une politique visant à se conformer au droit de l’Union en matière de droit d’auteur, incluant des mécanismes permettant d’identifier et de respecter les réserves de droits exprimées par les titulaires (5). Les fournisseurs d’IA doivent également fournir publiquement un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour l’entraînement de leur algorithme.
En conclusion, l’IA est partout et modifie profondément les paradigmes du droit d’auteur.
Elle peut être un outil au service des artistes, comme le serait un crayon ou bien une partition blanche.
Cet outil n’est pas à utiliser sans précaution préalable et n’est pas sans danger.
Aujourd’hui plus qu’hier, il devient essentiel de veiller à protéger et à justifier de l’intervention humaine dans le processus créatif en préservant toutes les preuves d’un apport personnel original.
Il faut également notamment vérifier les conditions générales d’utilisation des plateformes d’IA, les licences d’utilisation gratuites ou payantes pour un usage commercial des œuvres générées par une IA, les droits protégés…
Il conviendra également de veiller à insérer éventuellement dans les contrats, dans des conditions générales d’utilisation de sites internet, des clauses spécifiques sur l’IA. Il s’agira aussi parallèlement de protéger des contenus contre le scraping et d’apprécier la faculté de s’opposer (opt-out) aux fouilles de textes et de données (Text and Data Mining) à des fins commerciales, prévue par la Directive Européenne 2019/790, transposée en droit français (6).
(1) Tribune publiée par le journal « Le Parisien » du 7 février 2025
(2) CNIL https://www.cnil.fr – intelligence artificielle
(3) Tribune de l’Association « Fabrication Humaine » https://www.nouvelols.com / économie / 20240906
(4) Ensuring Likeness, Voice and Image Security Act – https://www.capitol.tn.gov
(5) AI Act du 13 juin 2024 – Regl 2024/1689 publié au JO de l’Union Européenne le 12 juillet 2024.
(6) Directive européenne 2019/79C sur le droit d’auteur et les droits voisins transposée notamment aux articles L.122-5 et L.122-5.3 du code de la propriété intellectuelle.
Notre département propriété intellectuelle et industrielle reste à votre disposition pour vous assister dans la protection de vos œuvres et la sauvegarde de vos droits.
Ces articles peuvent vous intéresser...
Signature Électronique : quelles sont les bonnes pratiques ?
Nouvelle doctrine administrative relative à la Parahôtellerie publiée le 7 août 2024
Une question ?
Contactez-nous !

Commentaires (0)
Laisser un commentaire
« * » indique les champs nécessaires